Ce projet a été adopté en Conseil des Ministres le 03 Août 2016, dans la plus grande discrétion. Il est prévu pour être mis en application au 1er janvier 2018.
Deux camarades de la DGFIP _ Jocelyne Limagne et Jean-Pierre Coffy _ également membres de la commission exécutive de l'UD répondent à nos questions pour nous expliquer la réforme décidée par le gouvernement Valls-Hollande.
Comment le système de l’impôt sur le revenu fonctionne-t-il actuellement ?
JPC : Je dirai qu’il faut retenir quelques points essentiels. C’est tout d’abord un impôt républicain et progressif qui est calculé pour l’année N (ex : 2016), sur les revenus de l’année N-1 (2015) par l’administration des Finances Publiques. Il y a 5 tranches d’imposition. Cet impôt, rappelons-le, n’est pas individuel mais basé sur le foyer fiscal. Les contribuables assujettis à l’impôt versent des acomptes (tiers prévisionnel ou prélèvement mensuel) calculés sur l’impôt payé l’année N-1 sur les revenus de l’année N-2. Si un contribuable connaît des changements de situation (difficultés financières ou autres), il saisit sans attendre l’envoi de sa déclaration de revenus, l’administration fiscale qui procède immédiatement (dès le mois suivant) à la réduction des prélèvements mensuels, par exemple, cette modification se faisant sous la responsabilité du contribuable. Il peut même faire la demande des délais qui lui permettent de repousser la date ultime de paiement.
Mais alors avec cette réforme, qu’est-ce qui va concrètement changer ?
JL : On nous vend celle-ci comme donnant la possibilité pour le contribuable de payer ses impôts sur ses revenus actuels : année N. Mais c'est faux car, pour les salariés, le prélèvement de l'impôt sera toujours calculé sur la même base. Par contre, ce qui change fondamentalement, c’est que le gouvernement transforme les employeurs en collecteurs de l’impôt : on revient aux fermiers généraux d’avant la révolution française. En fait, l’administration fiscale communiquera à ce dernier, un taux d’imposition qui sera directement prélevé sur le salaire de son employé. Ce projet est antirépublicain et signifie ni plus ni moins que la privatisation du recouvrement de l’impôt.
En quoi ce projet de loi serait-il antirépublicain ?
JPC : Tout d’abord, il remet en cause le caractère confidentiel des revenus de chaque citoyen. En effet, à travers ce taux communiqué à l’employeur, celui-ci n’aura pas de difficulté à comprendre que son salarié possède des revenus complémentaires, de type patrimonial (mobilier, immobilier…) ou autre (pension...). Le gouvernement prétend que ce n’est pas vrai, mais qui serait assez naïf pour croire que ceci ne vise pas à communiquer nos données personnelles aux patrons ?
JL : Il convient d’ajouter que ce projet de loi remet en cause le principe de l’égalité de traitement des citoyens devant l’impôt : il ne s’appliquera qu’aux SEULS SALARIES-CONTRIBUABLES ! Toutes les autres catégories (commerçants, artisans, professions libérales…) resteront sur la base du prélèvement mensuel ou trimestriel calculé sur la base d’une déclaration faite sans contrôle préalable… faute d’effectifs à la DGFIP pour les opérer. Où est l’égalité républicaine dans cette réforme ? Elle est tout simplement niée, abolie.
Quelles conséquences cette réforme pourra donc avoir, sur les salariés et sur les employés de la DGFIP ?
JPC : Pour les salariés-contribuables, je vois au moins 3 grandes conséquences. La 1ère, c’est qu’avec la Loi Travail en prime, l’employeur pourra exercer d’énormes pressions sur ses salariés et tenter de les diviser, en matière de négociations salariales ou en cas de plan de licenciements. La 2ème, c’est que ce sera le « parcours du combattant » pour le salarié qui, pour une modification de ses prélèvements en cas de modification de sa situation (ou un échelonnement de ses paiements), devra en faire la demande à l’administration qui transmettra ensuite au « collecteur » le nouveau taux d’imposition !! Les délais de traitement vont être d’autant plus allongés que les services compétents sont déjà exsangues. La 3ème, c’est que ce prélèvement à la source va fournir une avance de trésorerie gratuite aux patrons dont nous connaissons déjà la faculté à invoquer les difficultés de trésorerie, et le chantage à l’emploi auprès des pouvoirs publics pour ne régler leurs cotisations sociales à l’URSSAF!
JL : Pour les fonctionnaires de la DGFIP, c’est « simple » : c’est toujours moins de monde, pour faire toujours plus de travail. Le « think tank » présidé par Chérèque, « Terra Nova » estime à 10 000 le nombre d’emplois que cette réforme permettra de supprimer. Réduction des déficits oblige ! Le SIE (Service des Impôts des Entreprises) devra gérer ce nouveau « prélèvement à la source » alors que le SIP (Service des Particuliers) est, lui, condamné à disparaître. Cela va de pair avec la liquidation programmée des trésoreries de proximité. C’est une arme de « destruction massive » de la part du gouvernement, dans le droit fil des recommandations de l’Union Européenne, pour tuer l’administration fiscale, le service public et mettre encore un peu plus les salariés sous le joug des patrons.
En conclusion, cette réforme de l’impôt, c’est un autre « danger grave et imminent » qui menace contribuables et salariés, tout autant que la Loi Travail, la réforme territoriale… ?
JPC : Exactement puisque cela participe de la même logique : celle d’une attaque sans précédent contre la République et les acquis sociaux des salariés. C’est une vraie rupture dans l’égalité de traitement des citoyens, entre les salariés et les autres catégories sociales. Ce projet de loi est un projet de privatisation du recouvrement de l’impôt : s’il passait, il marquerait le retour aux pires travers de la monarchie et de ses fermiers généraux que le peuple français a chassés en 1789. Avec le système préconisé, il n’y aura, plus de souplesse dans le traitement humain des dossiers. Et nous n’avons aucune garantie sur le recouvrement par l’Etat de la totalité des montants « collectés »? Avec le système actuel, c’est environ 95% de l’impôt qui est recouvré de façon amiable chaque année… Après ?
JL : C’est donc on ne peut plus antisocial, antirépublicain. Pire, avec le désengagement de plus en plus massif de l’Etat qui transfère ses compétences aux nouvelles grandes régions, deux risques majeurs se profilent : 1/ le fait que celles-ci puissent créer leurs propres impôts (fin de l’égalité à l’échelle nationale) ; 2/ que ce prélèvement à la source ne soit qu’une première étape vers la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, qui, elle, est un impôt proportionnel, facile à calculer, facile à recouvrer et totalement injuste puisqu’il est perçu sur les revenus dès le premier euro gagné. C’est un projet que caressent depuis de nombreuses années gouvernement et patronat. Il ne fait pas de doute que, dans un souci de « simplicité », le choix se porterait sur le calcul proportionnel. Décision évidemment très défavorable aux « petits » contribuables, et tout d’abord les salariés, mais pas aux « gros » !!!